Dans un Goma assiégé, Castram improvise un cathétérisme intra-osseux pour sauver une vie
Les matins à Goma ne ressemblent plus à des matins ordinaires. Depuis Sake, les détonations de bombes et les rafales des fusils des M23 se font entendre jusque dans les quartiers comme Katoyi. Ce jour-là, tout le monde vivait dans la peur, priant pour que la situation ne dégénère pas encore plus.
Castram Makata, chef du département d’anesthésie et réanimation à l’hôpital général de référence Virunga, était chez lui à Katoyi, tentant de trouver un peu de calme au milieu de cette tension. Mais soudain, son téléphone sonne. Il décroche.
« Papa Castram, on a un cas urgent ! Une maman du camp Mugunga vient d’arriver avec un bébé. Il va mourir si on n’intervient pas tout de suite. »
Pas le temps de poser beaucoup de questions. Castram ramasse son matériel de base, saute dans sa voiture et se rend directement à l’hôpital. Là-bas, il rencontre une mère réfugiée, tremblante, les larmes aux yeux, serrant son enfant de six mois contre elle.
L’enfant, très affaibli, souffre d’un prolapsus stomial. Né avec une imperforation anale, il avait subi une colostomie il y a quelques mois. Mais là, son état avait empiré. Si rien n’est fait rapidement, c’est la fin.
Un hôpital en guerre avec peu de moyens
Sur place, Castram est vite frappé par la gravité de la situation. Le bébé est gravement déshydraté, ses veines invisibles. Aucune perfusion classique ne semble possible. Et comme si ça ne suffisait pas, l’hôpital manque cruellement de matériel. Les conditions de guerre et le manque d’approvisionnement ont tout compliqué.
Pourtant, il fallait agir vite. L’enfant était entre la vie et la mort. Le chirurgien pédiatre, également arrivé en urgence, se préparait déjà pour l’opération. Mais avant cela, il fallait stabiliser l’enfant, et c’était là que Castram devait faire preuve d’un génie particulier.
L'art de l'improvisation
Quand tout manque, c’est là que l’expérience parle. Castram Makata, avec plus de vingt ans dans le domaine, sait que dans ces moments, attendre ou hésiter peut coûter la vie. L’enfant était déjà très faible, et chaque minute comptait.
Les veines ? Introuvables. La déshydratation avait tout compliqué. Alors, il fallait trouver une autre solution pour administrer les médicaments et les liquides nécessaires. C’est là qu’une option s’impose : le cathétérisme intra-osseux.
Mais il y a un problème. L’hôpital n’a pas de kit spécifique pour cette procédure. Pas d’aiguille intra-osseuse disponible. Dans d’autres endroits, c’est peut-être le moment où tout le monde abandonne. Mais pas Castram.
Il observe les outils disponibles. Une trousse de transfusion, une aiguille de ponction lombaire... Cela ne ressemble pas aux instruments habituels, mais il sait qu’avec un peu d’ingéniosité, cela peut marcher.
Improviser avec ce qu’on a : le processus pas à pas
Quand on est face à une situation critique avec un enfant déshydraté, aucune veine accessible, et des ressources limitées, le cathétérisme intra-osseux devient une solution vitale. Voici comment Castram a procédé, étape par étape, pour réussir cette intervention avec des outils improvisés.
1. Choisir le site approprié
Le premier choix était le tibia proximal, un site privilégié pour le cathétérisme intra-osseux chez les enfants. Pourquoi ?
- L’os est facilement palpable, même chez un enfant déshydraté.
- La couche osseuse est fine, ce qui permet une pénétration rapide.
- Ce site est sûr et proche de la circulation centrale.
2. Désinfection minutieuse
Dans des conditions limitées, le risque d’infection est élevé. Castram savait qu’une asepsie stricte était cruciale. Voici ce qu’il a fait :
- Nettoyage de la peau avec les antiseptiques disponibles (chlorhexidine ou alcool).
- Désinfection des instruments improvisés : l’aiguille de transfusion et celle de ponction lombaire.
- Port de gants stériles, malgré la situation d’urgence.
3. Préparation des outils
Sans aiguille spécifique pour le cathétérisme intra-osseux, Castram a dû improviser :
- Aiguille de trousse de transfusion : utilisée pour pénétrer l’os.
- Aiguille de ponction lombaire : insérée dans l’aiguille de transfusion pour éviter qu’elle puisse se boucher.
4. Technique d’insertion
Avec une main experte, Castram a procédé comme suit :
- Positionnement de l’enfant : Stabiliser la jambe de l’enfant pour éviter tout mouvement.
- Repérage du site : À 1-2 cm sous la tubérosité tibiale, à l’avant de la jambe.
- Insertion de l’aiguille :
- Avec une pression modérée et un mouvement rotatif, il a introduit l’aiguille dans la moelle osseuse.
- Une fois l’aiguille stabilisée, il a retiré le mandrin pour confirmer l’accès (présence d’un liquide ou absence de résistance).
4. Fixation :
- L’aiguille a été fixée avec des pansements disponibles pour éviter tout déplacement.
5. Surveillance et ajustements
Castram savait que ce type de procédure nécessitait une vigilance continue. Il a surveillé :
- Le débit des liquides : pour s’assurer que la perfusion était efficace.
- Les signes d’infiltration : tout gonflement autour du site aurait indiqué une fuite, ce qui n’a pas été le cas.
- Les signes vitaux de l’enfant : pour évaluer l’efficacité de l’hydratation et des médicaments.
Les risques de l’improvisation
Castram connaissait bien les dangers de travailler avec du matériel non adapté. Voici les principaux risques, et comment il les a minimisés :
1. Infection
- Risque : Une infection au site du cathétérisme peut être fatale, surtout chez un enfant.
- Précaution : Désinfection rigoureuse, même dans des conditions difficiles.
2. Lésion osseuse
- Risque : Une insertion mal contrôlée peut fracturer l’os ou endommager les tissus environnants.
- Précaution : Utilisation d’une pression modérée et d’un angle correct lors de l’insertion.
3. Fuite de perfusion
- Risque : Si l’aiguille n’est pas bien positionnée, les liquides peuvent infiltrer les tissus mous.
- Précaution : Vérification constante de l’absence de gonflement autour du site.
4. Complications systémiques
- Risque : Administration rapide de liquides peut provoquer des déséquilibres électrolytiques ou un œdème pulmonaire.
- Précaution : Contrôle du débit de perfusion et surveillance des signes vitaux.
Un apprentissage pour tous
Ce cas montre que l’improvisation peut sauver des vies, mais elle doit être basée sur des compétences solides et une rigueur absolue. Pour Castram, ce n’était pas seulement une question de technique, mais aussi de réflexion rapide et de prise de décision éclairée.
Un message pour les jeunes anesthésistes : apprendre à faire avec peu
Dans des contextes comme ceux de Goma, où les ressources sont souvent limitées, être un anesthésiste ne se limite pas à connaître les protocoles. Cela demande créativité, adaptation et un calme exemplaire sous pression. Voici ce que Castram tient à transmettre aux jeunes professionnels :
"Le métier d'anesthésiste-réanimateur n'est pas qu'une affaire de techniques ou de machines sophistiquées. C'est avant tout une capacité à s'adapter, à utiliser ce que vous avez sous la main pour sauver une vie. Apprenez les bases, maîtrisez vos gestes, mais surtout, développez un esprit pratique. Les situations difficiles ne vous attendront pas, c'est vous qui devez être prêts à les affronter."
Castram rappelle également l'importance de ne jamais négliger la sécurité du patient, même lorsque les outils font défaut. La rigueur et le respect des étapes sont essentiels pour limiter les risques.
Une fin heureuse
Grâce à l’intervention rapide de Castram et à l’aide de toute l’équipe médicale, l’enfant a pu être stabilisé. Une fois le cathétérisme intra-osseux réalisé, les perfusions ont permis de réhydrater le petit patient. Peu après, un cathéter adapté a été trouvé et la prise en charge a pu continuer dans de meilleures conditions.
L’enfant a subi une intervention chirurgicale pour corriger son prolapsus stomial, et l’opération s’est bien déroulée. Aujourd’hui, il se porte beaucoup mieux et est en phase de récupération.
Ce cas illustre non seulement le dévouement des professionnels de santé, mais aussi la puissance de l’improvisation intelligente et de l’esprit d’équipe dans des situations extrêmes.
Message final de Castram :
"Aux jeunes anesthésistes : ne perdez jamais de vue pourquoi vous faites ce métier. Chaque geste compte, chaque décision peut sauver une vie. Restez humbles, apprenez chaque jour, et souvenez-vous que, même dans le chaos, il y a toujours une solution."
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