Dans les mains du sommeil ou de la mort : Plaidoyer contre les faux anesthésistes
Ils entrent souvent sans bruit. Pas de blouse blanche éclatante. Pas de stéthoscope autour du cou. Pas de serment d’Hippocrate inscrit dans leur cœur.
Et pourtant, ils s’installent derrière les champs opératoires, ils prennent la seringue, ils posent la main sur la vie des gens. Ce ne sont pas des médecins, pas des techniciens formés, mais des imitateurs. Des charlatans.
C’est dans une salle de chirurgie esthétique de Kinshasa que le drame s’est noué. Une jeune femme de 24 ans, pleine de rêves et d’envie de plaire, s’était offerte un lifting du ventre, guidée par les promesses d’un « docteur » sans diplôme. Il lui avait dit : “Tout ira bien, c’est une anesthésie simple.”
Mais ce jour-là, rien n’est allé. La seringue contenait la mauvaise dose. Le masque ne couvrait pas bien. Aucune surveillance. Aucun monitoring. Et dans l’heure qui suivit l’injection, son cœur s’arrêta. Définitivement. Ce n’est pas une fiction. C’est arrivé. Et ce n’est pas un cas isolé.
L'anesthésie, ce métier oublié
Souvent, dans l’imaginaire collectif, l’anesthésiste est une ombre derrière le chirurgien. Il ou elle n’opère pas. Il ne coupe pas. Alors, certains pensent que ce n’est pas grave si ce n’est pas un vrai professionnel.
Mais ce qu’ils ne savent pas, c’est que c’est lui, l’anesthésiste, qui tient la vie en équilibre. Il endort, oui. Mais surtout, il surveille chaque battement du cœur, chaque souffle, chaque baisse de tension. Il agit avant que le danger n’arrive.
En France, on estime à 7 décès totalement imputables à l’anesthésie sur un million d’interventions.
Et 47 décès partiellement liés à l’anesthésie.
Et cela, dans un système médical encadré et surveillé. Imaginez ce que cela donne dans nos pays, où les chiffres ne sont pas même comptabilisés. Où les morts sont enterrés sans rapport, sans justice.
Le règne des “faux docteurs”
Ceux qui se disent anesthésistes après un stage de quelques mois. Ceux qui prennent une blouse sans jamais avoir lu un livre d’anesthésie.
Ceux qui veulent juste gagner un peu d’argent dans un cabinet privé, où l’on opère à la chaîne, sans matériel, sans médicaments d’urgence. Leurs erreurs ne se corrigent pas. Elles se payent en vies humaines.
Je me souviens d’un cas à Goma. Un jeune homme devait juste se faire opérer d’un kyste banal. On lui a injecté un sédatif puissant, sans savoir qu’il avait un terrain allergique. Il a fait un œdème de Quincke, et comme personne ne surveillait son oxygénation, il s’est étouffé. À 27 ans.
Comment reconnaître un vrai anesthésiste ?
- Il ou elle vous verra toujours avant l’opération pour une évaluation pré-anesthésique.
- Il vous posera des questions sur vos antécédents, vos allergies, vos médicaments.
- Il portera une carte professionnelle, un matricule, un nom connu dans son hôpital ou dans son ordre.
- Il vous parlera avec rigueur, mais aussi avec humanité.
- Il travaillera toujours avec un monitoring (appareil qui surveille le cœur, l’oxygène, la tension…).
Conseils pour les patients, les familles, les citoyens
- N’acceptez jamais une anesthésie sans avoir rencontré un anesthésiste formé.
- Exigez de savoir qui vous endort.
- N’ayez pas peur de poser des questions : “Avez-vous un diplôme ? Avez-vous été formé ?”
- Refusez toute intervention dans un lieu sans salle de réveil équipée.
- Prévenez la Direction de l’hôpital ou le Ministère de la Santé si vous soupçonnez un cas d’imposture.
Une bataille d’éthique et d’avenir
Ce combat est aussi celui des jeunes anesthésistes formés avec rigueur, qui doivent se battre pour une reconnaissance, pour des postes, pour de l’équipement. Pendant que les faux anesthésistes prospèrent dans le silence, les vrais manquent de moyens.
Ce n’est pas seulement une question de médecine. C’est une question de vie, de dignité, d’éthique. Un anesthésiste ne tient pas une seringue. Il tient la respiration. Il tient le cœur. Il tient l’âme en pause. Et il doit être formé pour ça.
Auteur :
Moses Molo – Anesthésiste réanimateur, passionné de sécurité, défenseur des soins justes, et serviteur de la vie avant tout.
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