Sous la Veilleuse Bleue

 Épisode 1 : L’Appel de Masambo


« Là où les respirateurs sont rares, c’est le souffle de l’anesthésiste qui fait vivre. »

Goma, Paroisse Saint Joseph – Janvier 2024.

Le vent soulevait doucement les rideaux de la chapelle. Wivine Mikanda, 23 ans, anesthésiste-réanimatrice formée à Goma, venait de finir sa garde à l’hôpital provincial. Mais ce matin-là, c’est dans le silence de la chapelle qu’elle sentait monter une autre urgence. Une urgence intérieure.
Elle voulait plus. Pas plus de technologie. Pas plus de confort. Elle voulait du sens.
Sœur Rosine, une religieuse au regard calme mais au parcours intrépide, l’attendait à la sortie. Cette sœur appartenait à l’ordre des Petites Sœurs de la Compassion Divine, envoyée là où les cris ne sont entendus que du ciel.
— « Wivine, j’ai besoin de toi. »
— « Je t’écoute, ma sœur. »
— « L’évêché m’affecte à Masambo. Tu connais ? »
— « Dans le territoire de Beni ? Oui… on parle souvent de Bulongo et de ses environs dans les briefings de sécurité. »
— « Là-bas, la paroisse gère un centre de santé de référence. C’est petit, mais il reçoit tous les cas graves du secteur. Accouchements, traumatismes, chirurgies urgentes… Le problème, c’est l’anesthésie. Le médecin généraliste fait de son mieux, mais c’est une roulette russe. »
Elle marqua une pause.
— « Tu serais prête à y aller quelques mois ? »

Masambo – Deux mois plus tard.

La moto s’arrêta devant le portail rouillé du Centre Saint Luc de Masambo. Un panneau peint à la main indiquait : « Centre de Référence – Diocèse de Butembo-Beni ».
Wivine descendit, regarda autour. Pas de sirène, pas de salle de réveil. Mais un bloc opératoire rustique, propre, où chaque acte est un acte de foi.
Elle entra. Une jeune femme l’attendait, en position fœtale sur une civière.

Premier cas.

Hématome rétro-pharyngé post-traumatique. La femme avait été frappée pendant une attaque de sa maison la nuit précédente.
Elle ne pouvait plus parler, ni respirer correctement. Les soignants paniquaient : « Elle va s’étouffer ! »
Pas de fibroscope.
Pas de vidéo-laryngoscope.
Seulement une lame Macintosh fatiguée, un Ambu usé, et des mains tremblantes autour.
Wivine prit les commandes.
Elle laissa ses émotions dehors.
« On s’adapte, on anticipe, on ventile. »
Elle suréleva le thorax, mit la patiente en position assise.
Injecta 100 mg de kétamine.
Puis, avec douceur, glissa une canule nasopharyngée improvisée… avec un bout de sonde trachéale lubrifiée.
Elle réussit à ventiler à la main.
Le chirurgien arriva en courant. Une trachéotomie fut décidée, réalisée en urgence.
La patiente vécut. Sans ECG. Sans capnographie. Mais avec une anesthésiste en mission.
La vraie anesthésie.
Celle qui demande du calme dans le chaos.
Celle qui fait de la pharmacologie sans pompe, du monitoring avec les doigts sur le pouls radial, et de la réanimation avec la prière en arrière-plan.

Le soir, dans la petite maison des sœurs, Wivine écrivait dans son carnet :
 « Aujourd’hui, j’ai sauvé une femme de l’asphyxie avec une sonde, deux doigts et la foi. Ici, l’anesthésie n’est pas une science de confort, c’est une lutte contre la mort, chaque minute. »

Et David ?

Il était là, infirmier-chef du centre. Ancien séminariste, formé au minimum, mais désireux d’apprendre. Il posait beaucoup de questions, tenait le ballon de ventilation avec rigueur, notait chaque mot de Wivine comme un disciple.
Il ne parlait jamais de sa famille. Il priait longuement.
Et… il la regardait parfois plus longtemps qu’un simple collègue.
Mais l’histoire n’en était qu’au début.

À suivre…

Épisode 2 : La nuit des veilleurs – Une crise respiratoire sans oxygène, une panne électrique, un choix impossible. Le souffle… ou la foi.

📖 Moses Molo ✍️

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